Des fois, je me dis, si je n’avais que lui, ça serait plus
simple.
Je n’aurais qu’un petit garçon de bientôt trois ans à gérer.
Il ne serait pas jaloux de l’attention que je porte à sa
petite sœur.
J’aurais tout mon temps pour faire des activités avec lui,
jouer, lui expliquer.
Je ne devrais pas attendre un réveil de sieste matinale pour
aller me promener avec lui.
Je ne devrais pas me lever à six heures, avec elle, pour
éviter qu’elle le réveille.
Je ne devrais pas courir sans cesse, faire attention à ses
mouvements et aller la chercher alors qu’elle est déjà à la moitié de l’escalier.
Mais je n’aurais pas ces petits bras frais qui se glissent
autour de mon cou en disant « maman ».
Je n’aurais pas ce sourire inimitable et ce petit rire qui
me font fondre.
Je n’aurais pas ces danses dès que de la musique passe,
mélange de grâce et de dandinement.
Je n’aurais pas cette impression bizarre d’être une et une
seule avec ma petite fille, de tant reconnaître de choses dans ces yeux.
Alors si je n’avais qu’elle… ça serait plus facile.
Elle serait enchantée d’avoir toute mon attention, tout le
temps.
Je pourrais patiemment lui expliquer pourquoi elle ne peut
pas escalader la table.
Je ne devrais pas jouer aux pompiers cinquante fois par
jour.
Je n’aurais pas à expliquer tout le temps pourquoi le ciel
est bleu, pourquoi il faut aller à la crèche, qui est ce monsieur, pourquoi on
achète du pain. Ni à répéter qu’il faut y aller, qu’il faut mettre les
chaussures, qu’est-ce que je viens de dire, on doit y aller.
Mais je n’aurais pas ces grands yeux bleus concentrés.
Je n’aurais pas ces petites phrases sorties de nulle part
qui me font tant rire.
Je n’aurais pas « Au clair de la lune » et « petit
papa Noël » chantés vingt fois par jour.
Je n’aurais pas ce petit moment du coucher où je lui raconte
sa journée et où je me rends compte de tout ce qu’on a vécu.
Je n’aurais pas ce moment de grâce le matin où il se glisse entre mes
draps parce que sa sœur l’a réveillé, et qu’on est que tous les deux, dans le
silence du matin, à faire un câlin.
Et puis des fois je me dis, si je ne les avais pas, ça
simplifierait beaucoup les choses.
J’aurais pu partir d’ici, m’installer à Paris, à Grenoble,
tout refaire, sans penser moyens de garde, rythme d’enfer, nature environnante
pour eux.
J’aurais pu partir loin de leur père, qui me met la pression
avec eux. L’oublier plus facilement.
Mais je n’aurais pas cette fierté d’être devenue maman, d’avoir
porté la vie deux fois et d’avoir magnifiquement accouché.
Je n’aurais pas ces moments de bonheur où je les vois se
faire un câlin entre eux, ces éclats de rire quand on joue dans la piscine ou
quand on danse tous les trois ensemble.
Je n’aurais pas ce cœur gonflé de joie quand je vais les
regarder dormir.
Je n’aurais pas eu les mêmes moyens pour combattre ma
maladie.
Alors je me dis : finalement, c’est celle-là, ma vie
rêvée. Avec eux.