Liliane est esthéticienne sur le boulevard Saint-Germain,
à Paris. Elle doit avoir dans les 65 ou 70 ans. La première chose qu’elle me
dit lorsque je pénètre dans son institut, est qu’elle ne fait pas de pose de
vernis, normalement. Pourtant, au téléphone, un monsieur (qui est son mari) m’a
dit qu’elle le faisait, et que ça n’était pas très cher, je pouvais être
rassurée. Oui, mais elle n’en fait plus. Devant ma mine atterrée (ou
angoissée), elle me dit « bon, on va voir ce qu’on peut faire, montez ».
Pour l’amadouer, je lui explique que je suis de passage à Paris, que j’ai une
soirée importante pour le travail le soir même, et que j’aimerais être soignée
jusqu’aux bouts des ongles. Elle sent que c’est essentiel pour moi, et elle
décide de me faire cette fameuse pose de vernis.
En voyant l’état de mes ongles, de mes mains, elle est
surprise. Je devance ses questions et lui raconte que la chimiothérapie m’a
beaucoup abîmé cette partie-là de mon corps, que jusqu’à un mois auparavant
j’avais les ongles très fragiles, et qu’à présent il me reste
« seulement » des crevasses, qui se réveillent quand le vent souffle
à Perpignan. Elle me conseille très gentiment de mettre mes doigts très
régulièrement dans de l’huile d’olive tiède, « pas chaude, tiède, vous
comprenez ? ». Là où d’autres m’ont conseillé des crèmes
faramineuses.
Dès le début j’ai une sensation étrange avec elle.
Liliane a les mêmes mains que ma grand-mère, veloutées, avec la pulpe toute
douce. Elle a aussi le même sourire, j’ai l’impression d’être en face de Nanou,
dix ans en arrière. Je lui fais entièrement confiance.
Elle me confie qu’elle a eu un accident deux ans
auparavant, « un truc tout bête, je me suis coincée le pied dans un trou
dans la rue, et je me suis cassé le col du fémur ». Après deux ans d’inactivité,
de rééducation, elle a repris le travail à mi-temps. Ses clientes l’ont
attendue, à son grand étonnement, et surtout à sa grande fierté.
Car Liliane fait surtout des soins, du corps et du
visage, et on sent que derrière ces banals soins se cache un monde de douceur
et de bien-être. Elle le fait pour ses clientes, dans un but presque
thérapeutique.
A la fin de ma pose de vernis, je la quitte à regret, et
lui promets de venir me faire faire un soin du visage la prochaine fois que je
viens sur Paris.
J’ai payé 10 euros. Pour une demi-heure très douce, hors
du temps, où elle a fait plus que simplement poser du vernis.
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